Boud’mer Marseille

Marseille, association de bateaux barquettes partagés

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Partie de pêche à Marseille, vue par un Québécois

Deux amis partis bosser un an à Marseille. Une invitation. Des bonis en masse sur la carte Visa et un billet d’avion pas cher. Des grands-parents généreux d’leur temps et nous voilà partis une semaine à Marseille. Pas d’enfants.

Marseille, ville paraissant rustre au premier abord, mais qui se laisse apprivoiser, qui séduit, qui conquit. Ville aux habitants colorés, aux traditions solidement ancrées. Ville magnifique au bord de la mer.

Et un Barbeau pêcheur toujours prêt. Voyez le mélange ?

C’est dès ma deuxième journée là-bas lors d’une promenade dans le Vieux-Port qu’apparaît comme par magie ce qui ne m’avait même pas effleuré l’esprit lors des préparatifs de notre court séjour d’une semaine. « La Méditerrannée ? Des poissons ?? Aye, y’a sûrement moyen de pêcher en mer ici !!! ».

Je débute dès notre retour chez nos amis une petite recherche afin de pouvoir pêcher à la Marseillaise. Le premier résultat me mène sur le site d’un organisme qui se nomme Boud’mer, (http://www.boudmer.org) organisme voué au maintien de la tradition des « pointus » Marseillais, traditionnels bateaux de bois de pêcheurs d’une autre époque. En parcourant le site, je dis à ma douce : « Hé hé hé, je sens que je vais vivre une expérience extraordinaire… ». Envois de courriels, téléphone à mon amie Véro de la part du responsable qui me rapporte les informations utiles, pour faire une histoire courte, j’apprends que ça me prend une boîte d’appâts et que la sortie coûtera…20 euros (25$ !!!) pour 7 heures !!! Ça sent tout, sauf le piège à touristes, et je commence à saliver encore davantage…

Seule condition, me rendre au local des scouts marins pour 6 heures le mercredi matin, au quai Marcel Pagnol, un bon 40 minutes de marche de notre lieu d’accueil. Un trajet google map est offert sur le courriel et je comprends une chose : je sais À PEU PRÈS où me rendre…Je réponds que je vais me trouver des appâts mais qu’une canne devra m’être fournie. « Pas de problème, on va vous en trouver une ! ».

5 heures et quart mercredi matin, je regarde dehors : il fait noir comme dans le cul d’un ours. Un chien errant traverse la place devant chez Véro et Thomas. Marseille, ville pouvant être dangereuse la nuit, pis moi qui s’en va à l’aveuglette vers un lieu à peu près, rencontrer de purs inconnus. Suis-je un estie d’fou ? Faut croire que oui, parce que je suis parti dans la noirceur avec mon pack sac…

Demande en chemin à un vieux papi s’en allant pêcher et sentant le swing malgré l’heure hâtive si je suis sur le bon chemin pour le quai Pagnol. Une maudite chance que je ne l’ai pas écouté, il m’envoyait dans une direction opposée, au diable elvert…

Je longe une caserne militaire où je croise un homme mettant un Zodiac à l’eau, la « cravate » à l’air en train de mettre son wet suit. Lui non plus ne connaît pas le local des scouts marins. Ça va ben…Je continue de longer la clôture, passe devant un bateau brûlé puis j’arrive devant une cabane en bois portant l’inscription « Scouts de France ». YES, j’y suis ! ». Problème : la clôture est barrée !

Le cœur commence à débattre, pas dans l’bon sens. « Quossé ça, câlisse !!! ». Je retourne sur mes pas, contourne la caserne sur l’autre bord, arrive au Club d’aviron Marseillais, pénètre sur le site…encore barré ! « Kalvaire, comment on entre dans c’t’estie d’port de marrrrde-là !!! ». Tourne de bord, retourne au bateau brûlé, il est 5 heures 57. J’aperçois soudain un gaillard vêtu d’un t-shirt blanc rayé bleu-marin, comme Paolo Noël quand il animait Salut Capitaine au Canal 10 : pas de doute, c’est lui ! « Vous travaillez pour Boud’mer ? ». « Oui ». « Ben c’est moi le sympathique québécois qui embarque avec vous sur le bateau pour pêcher à matin ! ». « Mais, putaing, où est ta canne ? Et où song tes appâts ? ». « J’ai mes appâts, mais pour la canne, on doit vous avoir averti que j’en avais besoin d’une ? ». « É ven, ong ne m’a rieng dit ! » Bienvenue à Marseille mon homme ! Ici, y’a rien qui presse, y’a rien qui ne stresse personne, fini-parti, comme ils disent par là !Un équipage coloré, tel qu’imaginé. J’avais le sourire fendu jusqu’aux oreilles. J’étais littéralement un privilégié. Et je le savais. Capitaine René m’a dit qu’il me trouverait une canne. Tout allait bien. Nous pourrions partir.Nous partons sur la rade. Le soleil pointe tranquillement et le doux son du moteur à strap du « pointu » baptisé « Espadon » accompagne le silence des pêcheurs qui préparent leurs gréments. J’ai encore les coutures de l’oreiller étampées dans la face, trempe à lavette de la course contre la montre pour trouver la place. Capitaine René me tend alors la chose.

La canne à pêche qui me servira pour les 7 prochaines heures ! « Je l’ai trouvée dans le porg. C’est pas ce qui y’a de mieug, mais bong, ça dépagne… ». J’ai débandé comme à la vue de toutes ces bonnes femmes aperçues sur les plages ici et là et qui n’ont pas compris que faire du monokini, ce ne devrait pas être éternel.

Une « cannette » de pas trois pieds de long, raide comme un manche à balai, avec un moulinet Browning (!!!) qui mouline mal que l’###### et qui, manifestement, a participé au débarquement de Normandie. C’est pas de la faute à René si personne ne l’a averti de ma présence et il me dépanne comme il le peut…

J’ai perdu le sourire quelques secondes, pour mieux le retrouver en me disant que de toute façon, j’allais vivre une expérience que je ne suis pas près d’oublier. Les pêcheurs préparent leurs stratégies. André, le vieux sage, pêchera à deux cannes. Il a amené avec lui un sac de moules n’ayant vraisemblablement pas tuffé la runne, de par son odeur. Il attache une moule sur un hameçon, sur l’autre mets un mouron, etc.

Soizic, la seule femme du groupe, fait dans la simplicité : 2 hameçons, crevette sur l’un, ver de mer sur l’autre.

Gérard y va quant à lui d’un montage de style macramé-pendrioche constitué de 5 mouches à maquereau agrémentées d’une Veltic tournante eschée d’un ver de mer. Il se fait taquiner par les autres, qui l’accuse de pêcher avec un arbre de Noël…

L’Amiral, Jacques, se propose de monter ma ligne. Gros plomb au bout, surmonté de 2 hameçons tortue à truite espacés de 18 pouces chacun. Je monterai les 2 hameçons avec une esche dure.

Nous faisons environ 8 kilomètres sur l’eau et derrière les Îles du Frioul, Capitaine René arrête le bateau. Nous dériverons avec le courant. On laisse tomber notre montage à l’eau et que le fun commence !

Je dois avouer que ma peur de perdre la face a pris le dessus. Je n’avais aucun feeling avec ce boutte de trois pieds en guise de canne et un plomb 3 onces par 150 pieds de creux…

Pas très long que Soizic part le bal. Ses petits cris de joie faisant penser à des cris de tsé-veux-dire sont tordants et suscitent des commentaires typiquement masculins dans le bateau. Faut dire qu’elle est la seule femme et qu’elle nous a fait la barbe tout l’avant-midi. Avec cris à l’appui à chaque fois. Bref, elle part le bal avec un pageaud.

Les captures se succèdent (sauf pour moi), le premier service de bière donné (il est 8 heures et quart !). Le ciel s’assombrit. Il semble que nous aurons de l’orage…Vers 8H30, alors que de petites gouttes de pluie tombent, je semble (je précise : il me semble que je semble) sentir des petits coups sur ma baguette de pêche. Je remonte le tout péniblement (le moulinet est à peu près mûr pour un buffet aux sandwichs pas de croûtes…) et ma ligne se promène de gauche à droite. Pas de doute, j’ai quelque chose ! Mais je ne le crois pas vraiment, je ne crois pas que je peux prendre de quoi avec le grément que j’ai dans les mains. Ce n’est que lorsque ma modeste prise apparaît à la surface de l’eau, les yeux globuleux de par la décompression, que je crie victoire : mon premier poisson Français, applaudi immédiatement et salué par des high five de tous les membres de l’équipe. Un pageaud acarné, aussi appelé beaux-yeux.La glace est brisée, mais aussi le ciel…

Le tonnerre se met de la partie. Je pogne la chienne. J’ai lu le dernier numéro d’Aventure chasse et pêche à bord de l’avion et il y a justement un article à propos de la pêche lors d’un orage, ou plutôt de faire tout, sauf pêcher, pendant un orage. Nous sommes à 6 milles des côtes, dans un bateau de bois avec un moteur à strap, pis il tonne à gauche et à droite, et ce foutu article de magazine pour me le rappeler…

Les Marseillais spéculent : « Un bateau, c’est comme un avion, c’est la meilleure place où être lorsqu’il y a des éclairs. Pas de danger ! ». Ça va bien…Je m’empresse alors de leur mentionner mes lectures récentes à ce sujet. L’article mentionnait aussi que rien n’était plus conducteur d’électricité qu’une canne en graphite. Et ma canne d’infortune, malgré l’absence de qualités, malgré ses crisses de défauts, possède un autocollant indiqué ELECTRIC SHOCK !!! Tout pour rassurer le pauvre touriste. Ça, le 6 milles des côtes, l’absence d’inquiétude chez les Marseillais, les enfants restés au Québec.

J’ai alors posé un geste qui a laissé mes compagnons bouche bée. J’ai laissé tomber la canne pour aller me réfugier dans le pit en avant du bateau, en position presque fœtale, entre les gilets de sauvetage et la chaudière de cordage, derrière les genoux de l’Amiral, qui me faisait dos. Tous me regardent. « Beng quoi, tu ne pêches plus ? » me dit Gérard. « Vous ne craignez pas ça, vous, les orages ? », que je lui répondis. « Heing, beng, on ne meurt qu’une fois, alors… ».

J’ai alors compris une fois pour toute l’essence même du Marseillais. Le Marseillais ne stresse pas, il s’en fout, voilà tout. Soizic m’a fourni une autre preuve alors qu’elle a reçu un appel pendant qu’on pêchait. Elle possède une boutique en ville et sa voisine de boutique était inquiète de ne pas l’avoir vue de la matinée. Elle lui répondit tout simplement : « j’ai changé de journée de fermeture. Le lundi, je suis maintenant ouverte, et le mercredi, je sors en mer avec Boudmer, alors je ferme… ». Cette simple phrase en dit long…

Quelques minutes passent, et l’orage aussi. Je suis trempé, transi de froid, moi, le touriste imprudent n’ayant apporté aucun manteau. L’air chaud et humide eut tôt fait de me sécher. Ça et le premier de deux services de vin rouge, ainsi que le saucisson Corse de Soizic. D’autres orages passent chaque bord de nous, sans nous atteindre. Ma seconde capture ne se fit pas attendre, un saran, semblable à une perchaude, avec la même vigueur au bout de la ligne, c’est-à-dire pas pantoute !!!L’avant-midi passa très vite. Il me vint à plusieurs reprises des fous rires en écoutant mes nouveaux amis Marseillais raconter leurs histoires. L’un qui se plaint de sa belle-mère acariâtre de 250 livres, dont la légende veut qu’elle soit entrée un jour à pleins gaz dans un pacage à vaches en bas d’une côte, aux guidons d’un vélo dont les freins avaient été enlevés. L’autre qui parle des éboueurs Marseillais, ces paresseux qui vont sur la première terrasse lors de la pause-café et qui courtisent la cagole-serveuse à qui mieux mieux, oubliant du coup leur odorante mission. Les préposés à l’entretien des trottoirs, ces sympathiques zigues qui passeraient outre la devanture de ton commerce si tu ne leur graisse pas la patte d’un café, viennoiserie ou autre truc du genre…

Corruption municipale, ça ne vous sonne pas une cloche, à vous ???

Ce fut une matinée mémorable, pimentée de conversations animées, entre ces gens chaleureux au tempérament parfois bouillant, mais tellement généreux. Ils m’ont payé la traite tout l’avant-midi et quand André le patriarche a sorti le pastis sur le coup de midi, ça et le soleil tapant eurent tôt fait de m’étourdir joyeusement, transformant une banale pisse à la proue du navire en périlleuse épopée…

J’ai terminé l’avant-midi avec 4 poissons (3 beux-yeux, un saran). 4 poissons qui finirent en ceviche le soir venu. Par contre, plus que le compte final, j’ai classé cette sortie en mer avec ces gens simples, vrais, authentiques, aimant la pêche autant que moi, comme le summum de toutes les activités accomplies pendant notre semaine dans le sud de la France.

J’ai eu l’immense privilège de me retrouver dans une situation où sûrement peu de touristes, québécois ou non, ont eu la chance de se retrouver. Sortir des sentiers battus, c’est souvent se retrouver à la bonne place, au bon moment. Moment de douce grâce, de complète euphorie.

Gens de Boudmer, merci de m’avoir permis d’embarquer dans une de vos aventures, je me souviendrai de cette journée le restant de ma vie.

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